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Débattons en paix
19 juin 2023

Accidentologie, sécurité routière...

Printemps 2023. Sous prétexte de sécurité routière, une «chicane» est installée au hameau «cité EdF» de la commune de La Bâthie (Savoie). La nuit même où cette chicane est installée, elle est la cause d'un accident de la route, heureusement sans gravité. Début juin, deuxième accident dans le même hameau, au niveau d'une autre chicane similaire. Puis, moins d'un mois plus tard, nouvel accident au niveau de la première chicane.

Ces petits événements bénins auraient tout aussi bien pu être dramatiques. Pourtant, nul n'a mis en cause cet équipement routier inutile et rien n'a  été changé suite à ces accidents. Bien au contraire, il y a aujourd'hui quatre nouvelles chicanes sur cette commune.
Suite à cette démonstration éclatante de l'absurdité de notre politique de «sécurité» routière, je me permets de reprendre, non la plume, mais mon clavier.

À quel titre ?

J'ai suivi une bonne formation d''accidentologie. Je suis enquêteur diplômé de l'IFSA, institut français de la sécurité aérienne, j'ai une expérience modeste mais concrète d'enquête accident et une expérience concrète de prévention des risques. Le domaine aéronautique n'est pas le domaine automobile, j'en suis parfaitement conscient. Cependant, en accidentologie, il y a de grandes lignes communes à tous.

Il se trouve que j'ai choisi de terminer ma carrière professionnelle sur un boulot «pépère» : chauffeur de car. C'est un métier où les kilomètres s'accumlent. Par exemple entre mai 2022 et mai 2023, j'ai roulé plus de 50 000 km. Ce n'est pas énorme mais c'est un peu plus que la moyenne de nos concitoyens. Exprimé en heure de conduite, c'est beaucoup : un car qui roule sur les petites routes de Savoie fait moins de 30 km/h de moyenne. Les 30 000 km parcourus en car en un an représentent plus de 1000 heures de conduite.
Je voudrais ici présenter la synthèse de bientôt quarante ans de gestion du risque, que ce soit au niveau de la conception, de l'analyse des accidents ou de l'opérationnel, et de quarante-huit ans de conduite de véhicules à moteurs divers et variés (deux-roues, utilitaires, VL, cars, avions).


QUELQUES PARAMÈTRES IMPORTANTS EN ACCIDENTOLOGIE

Un premier paramètre à prendre en compte dans la prévention du risque est le facteur humain.

Exemples :

Face à un gamin de dix-huit ans qui n'a que mépris envers les contraintes castratrices, à quoi servent les chicanes, les dos d'ânes, les limitations de vitesse ? à rien. Au contraire, les chicanes sont pour lui des défis à relever, les dos d'anes sont des causes d'énervement malsaines, voire des causes d'accident lorsqu'ils se fait surprendre. Les panneaux de limitations de vitesses sont à ses yeux une incitation à l'irrespect de la pusillanimité des adultes.

Face à un conducteur responsable, à quoi mènent les chicanes, les dos d'ânes, les limitations de vitesse ?  À une profonde démotivation. «On me prend pour un idiot». En ville, je suis prudent, je suis attentif aux piétons, aux gosses, aux animaux, aux travaux. Mais on me traite comme un irresponsable qui serait incapable de voir que la situation est naturellement accidentogène. À force d'être pris pour un irresponsable, je me conduis comme un irresponsable : je ralentis sur les dos d'âne et dans les chicanes et j'accélère ensuite sans me soucier de l'environnement et des risques qui y sont liés. D'autres ont réfléchi pour moi...

Y a-t-il une catégorie de conducteurs que les dos d'âne et les chicanes font réellement ralentir ? Oui, mais c'est une minorité, ce sont des gens qui, de toute façon, auraient conduit prudemment. Donc tout cela ne sert vraiment à rien en matière de prévention des risques. Vous ne transformerez pas l'être humain en robot, il faut le prendre tel qu'il est. S'il veut rouler vite, vous pourrez le faire ralentir ponctuellement, mais pas dans la durée.

Un deuxième paramètre à prendre en compte dans la prévention du risque est la difficulté d'ordre technique.
Exemple : sortir d'une voie non prioritaire sans visibilité est évidemment dangereux. Vous pouvez toujours essayer de faire ralentir les usagers de la voie prioritaire, mais il y aura toujours des usagers pour rouler trop vite, "faire ralentir" ne rendra pas l'intersection plus sure. La seule solution, sur un tel exemple, est de modifier la géométrie des lieux afin que les non-prioritaires aient une bonne visibilité sur les véhicules prioritaires.

Un troisième paramètre est l'état du véhicule (tenue de route, freinage...) qui est passé loin derrière les autres depuis longtemps. Je n'en parlerai pas ici. Le contrôle technique et les évolutions technologiques ont probablement permis de réels progrès.

VENONS MAINTENANT AUX CAUSES DES ACCIDENTS

L'accident est presque toujours le résultat d'une combinaison multifactorielle. On ne le dit pas assez, mais la première cause d'accident, présente dans plus de 99 % des cas, ce n'est pas la vitesse, mais la surprise ! Supprimez la surprise, vous supprimerez plus de 99 % des accidents.

Quelle est la part de la vitesse ? Il existe des statistiques, mais elles sont biaisées. Je l'ai vu sur un cas concret que je vous cite : fin mai 2000, Marthod (Savoie). Un véhicule roule à moins 30 km/h sur une route limitée à 90 km/h, véhicule conduit par un jeune homme qui a d'autres soucis en tête suite à son licenciement. Il crée un accident. «Il n'était pas maître de son véhicule» (ce qui est vrai) donc la vitesse a été incriminée comme cause de l'accident (ce qui est absurde). La vraie cause, c'est le manque d'attention, lui-même en grande partie lié à la circulation à une vitesse inhabituellement basse.

Incriminer cet accident à un excès de vitesse est évidemment absurde, mais ce cas rentre dans les statistiques des accidents dus à la vitesse excessive comme beaucoup de cas similaires où les gendarmes/policiers en charge du rapport ne se cassent pas la tête. Rechercher la cause réelle de l'accident demanderait un temps dont ils ne disposent pas, face au sous-effectif chronique de leur métier. Donc je ne citerai pas ces statistiques auxquelles je ne fais plus confiance.

Quelle est la part de l'alcool ?

Il y a environ 1000 tués par an liés à l'acool, soit environ 30% des tués. (source : https://www.prev2r.fr/image/page/alcoolavoir/visuel_page/2018dcsansalcool.jpg ou https://www.ofdt.fr/files/2715/3968/2606/graph30.gif). Ce chiffre varie peu d'une année sur l'autre.

Quelle est la part des équipements routiers défaillants ?

Je vous mets au défi de trouver une réponse précise et honnête. Les trois accidents de la Bâthie, cités en introduction de ce document, n'entreront probablement pas dans cette catégorie, bien que l'équipement routier soit évidemment la première cause de ces accidents. Seule l'irresponsabilité des conducteurs a droit de cité, pas celle des aménageurs. Donc pas de statitique sérieuse à ce sujet.
Et pourtant. Un motard mort à Bielle (64) à cause d'un dos d'âne dangereux. Un piéton de 92 ans mort à Bandole à cause d'un dos d'âne, un autre accident sans gravité, mais qui aurait pu être mortel à Pélissane (13) à cause d'un dos d'âne en sortie de virage, en bas d'une descente, et tant d'autres dont vous ne trouverez pas la trace : je le répète, seule l'irresponsabilité des conducteurs a droit de cité, pas celle des aménageurs.  

Quelle est la part de la somnolence ?

Selon le site http://www.fnvictimesdelaroute.asso.fr/somnolence_au_volant.php la somnolence au volant serait responsable de 10 à 20 % des accidents de la route. La sécurité routière» nous dit que «Une vitesse excessive induit une fatigue supplémentaire, car la vitesse oblige le cerveau à traiter un plus grand nombre d’informations en un minimum de temps, la vision devant alors s’adapter en permanence». Cela est vrai mais il n'y a pas le bien d'un côté, le mal de l'autre. Rouler trop lentement entraîne un réelle perte d'attention (j'en sais quelque-choose, c'est la cause primaire de mon seul accident grave) alors que la fatigue dont on est conscient, alors même qu'on est dans l'action, peut se combattre quelques temps. Et surtout, une activité régulière est nécessaire pour maintenir la vigilance. La vie n'est pas l'immobilisme. La vie fatigue, mais c'est la vie ! Une activité régulière n'est pas forcément plus fatigante. Chaque conducteur a, à un instant donné, un rythme optimal.  Plus lent, sa vigilance baisse, plus rapide, il se fatigue anormalement. Au cours d'un même voyage, ce rythme optimal évolue et le conducteur se doit d'adapter sa vitesse à la complexité de la situation. On ne l'y autorise pas et cela aussi est source d'accidents. Mais cette cause-là n'est pas étudiée.

Précisons cette idée par un exemple : pour rouler sur des grandes routes de montagne (route entre Boug-Saint-Maurice et Val d'Isère par exemple), si j'adapte ma conduite à la route, entre 20 km/h et 100 km/h suivant les secteurs, je roule serein, sans stress particulier, sans risque pour moi ni pour les autres, sans fatigue excessive. Si je roule toujours à fond, je serai fatigué bien avant d'arriver au barrage de Tignes et, effectivement, pourrai devenir dangereux. Mais si je roule à 50 km/h ou moins tout le long, je serai bien vite dans un état de somnolence inconsciente, et deviendrai encore plus dangereux.

Quelle est la part de l'Histoire ?

Au hameaux des Poses, à Marthod un chemin desservait autrefois le hameaux. Par manque de place, dans ce pays pauvre d'un point de vue agricole, des maisons ont été construites assez proches les unes des autres, avec juste la place entre elles pour faire circuler les charettes et les troupeaux.

Aujourd'hui, le chemin est devenu route. Cette route, par endroit très étroite, passe au ras des maisons. Un enfant qui débouche de la cour de la maison est immédiatement sur la route. Comment aménager de tels lieux sans les défigurer, sans démolir des maisons anciennes qui font partie de notre patrimoine ? Comment concilier la circulation des piétons et celle des véhicules ? Les grands Y'aka n'ont pas de réponse. Moi non plus. Cet endroit est dangereux, mais comment le faire comprendre de manière évidente à un conducteur qui ne connaît pas la région ?

De tels points noirs sont légions. On ne sait pas les traiter aujourd'hui.

Une piste de travail : la signalisation des zones réellement dangereuses

Ce dernier exemple des Poses illustrera parfaitement ma perception de la prévention routière. Je vais donc le creuser un peu.
On peut évidemment mettre un panneau «attention danger» ou «danger enfant» mais il ne sera pas pris au sérieux par une proportion suffisante des usagers de la route. Pourquoi ? Répondez sincèrement à cette question : combien de fois respectez vous  les panneaux avertissant d'une zone dangereuse ? Lorsqu'à vos yeux il n'y a aucun risque visible, que faites-vous ? Du haut de mon car bien lent, j'observe mes concitoyens et j'en suis convaincu : moins du quart d'entre nous tient compte des panneaux avertissant d'un danger. Et au volant de ma voiture, je suis comme cette majorité.

Car face à la multiplication des avertissements ne correspondant à aucune réalité, on finit par sous-estimer ces avertissements, et on est surpris lorsqu'on arrive sur une zone réellement dangereuse. Pour contrer ce mauvais pli qui a été pris, peut-être faut-il inventer un nouveau panneau qu'on ne mettra que dans des zones réellement dangereuses et non aménageables ?
Certes il existe des cinglés qui aiment faire du mal et ne s'en privent pas lorsqu'ils sont au volant, mais 99,9% des gens sont bienveillants envers les enfants, les piétons fragiles. Déjà, si on arrive à vraiment les convaincre de ralentir là où c'est vraiment nécessaire, on aura fait un grand pas. Mais pour ça il ne faut pas hurler Au Loup ! à chaque fois que la brise agite les feuilles.

Des zones réellement dangereuses, il en existe de toutes sortes, par exemple
- des zones où, comme aux Poses, les piétons débouchent directement sur la route, sans visibilité de part et d'autre
- des croisements dont l'une des routes est invisible depuis une autre
- des sommets de côtes non perceptibles du fait d'un relief inégal, relief qui donne la fausse impression de vision à longue distance
- longue courbe qui n'oblige nullement à ralentir mais se termine par un virage qui se resserre brutalement
- etc.

Si on inventait un nouveau panneau «zone vraiment dangereuse» et qu'on l'utilise UNIQUEMENT à bon escient, sans en abuser, les automobilistes le respecteraient probablement.

Exemples :
- une limitation de vitesse à 15 km/h associé à la notion de danger réel dans un hameau inciterait la plupart des usagers à rouler au pas, le temps de franchir la zone dangereuse ; le problème des Poses est résolu pour 99 % des automobilistes.

- une interdiction de dépasser associée à la notion de danger réel inciterait la plupart des usagers à ne pas même dépasser un vélo ; les sommets de côtes trompeurs seront abordés avec la prudence nécessaire.

- une indication de virage associée à la notion de danger réel inciterait la plupart des usagers à ralentir et respecter la vitesse préconisée. Les automobilistes ne se feraient plus surprendre par un virage de rayon évolutif.

Autre piste de travail : la vitesse préconisée

La limitation de vitesse, c'est bien, mais c'est un peu rigide. Trop rigide et pour cela très rarement respecté.

Combien de zones un peu dangereuses (passage sous un pont en «jambe de chien« par exemple) sont affublées d'une limitation de vitesse totalement idiote ? Un 30 km/h que personne ne respecte, là où les gens prudents passent à 50 km/h, et les gens pressé passent à 80 km/h sans pour autant prendre de risque... À quoi bon cette limitation ? D'autant que, passer en toute sécurité, cela ne génère pas le même impératif pour une moto, une voiture ou un poids-lourd. Je pense en particulier à la RN 89 entre Tournon/Rhône et Serrières où, bien souvent, mon autocar passera à moins de 30 km/h là où je passe sereinement à 60 km/h en voiture et un peu plus en moto. En toute sécurité à chaque fois, même si je dois y croiser une autre moto, un car ou un 38 tonnes.

Que sur nos routes nationales droites et au gabarit, avec une large bande dégagée de part et d'autre on limite la vitesse à 110 km/h pour éviter les abus, cela ne me choque plus. Que sur ces mêmes routes on incite les automobilistes à rouler à 80 km/h pour moins polluer (pollution atmosphérique, pollution sonore...) j'en conviens.

Mais qu'on aille retirer deux ou trois points à un conducteur qui roule en toute sécurité à 110 km/h sur une route déserte et bien dégagée, tout les conducteurs professionnels voient bien qu'il y a là quelque-chose qui cloche.
Pour l'instant la limitation à 80 km/h a fait la preuve de son inefficacité. Pourquoi la maintenir ?

D'autant qu'il faut prendre en compte un phénomène apparu depuis la généralisation des limitations de vitesses : la somnolence au volant, devenue cause primaire non négligeable d'accidents (entre 10% et 20 %, voir plus haut). Le conducteur qui roule raisonnablement vite et adapte en permanence sa vitesse à la réalité du terrain est attentif, son esprit est éveillé, il se laissera rarement surprendre par un évènement raisonnablement prévisible.

À l'inverse, je suis loin d'être le seul à le ressentir, rouler longuement sur une route nationale à 80 km/h est ennuyeux, j'ai la tête qui part ailleurs et je conduis mécaniquement. Je ne suis plus vraiment attentif. Je deviens dangereux.

D'où la proposition : remonter significativement toutes les limitations de vitesse, et mettre en place des vitesse préconisées, correspondant à la mode de l'époque. Si je reviens au cas des zones réellement dangereuse, la combinaison de la signalisation «zone réellement dangereuse», et de la condition vitesse préconisée = limitation de vitesse alertera le conducteur sur la pertinence réelle de cette limitation de vitesse. Si on n'exagère pas, elle sera plus largement respectée.


Autre piste : lutte contre l'alcool et la drogue

Imposer l'EAD (Éthylotest Anti Démarrage) à des conducteurs verbalisés en état d'ébriété pourrait avoir un effet, à condition de bien mettre en avant (par la loi et lors de la notification de la décision) que conduire en état d'ébriété un véhicule équipé d'un EAD est une faute encore plus lourde que la simple conduite en état d'ébriété, et qu'elle s'accompagne d'une peine de privation de liberté, d'une annulation du permis de conduire, avec interdiction de la repasser pendant x années.

Généraliser l'EAD ? Pourquoi pas... Mais la faible fiabilité de cet équipement implique alors une procédure permettant au conducteur honnête de prendre la route quand l'équipement est défaillant.

Développer un testeur anti-démarrage qui détecte les drogues consommées, est-ce possible ? Le cas échéant il faut lancer les études rapidement.

Approfondir les enquêtes

Ça, c'est le plus difficile. Mais seule la connaissance précise de la cause primaire des accidents permet de prendre les mesures de sécurité routière pertinentes. Comme indiqué précédemment, les gendarmes comme les policiers n'ont pas le temps d'approfondir réellement une enquête.
Rien n'empêche d'analyser à fond quelques accidents bien choisis : exemple, toujours à la Bâthie. Début juin 2023 une voiture sort de la route, percute et arrache un poteau électrique, rentre en collision avec une voiture stationnée à plus de 3 m de la chaussée. Le conducteur s'en sort vivant. Une enquête styel «OACI», c'està-dire dans laquelle aucune sanction n'est envisagée, car le but est de comprendre, et que la sincérité du conducteur doit être totale même s'il a fait une grosse connerie, serait probablement très enrichissante.

Je ne parlerai pas ici des techniques d'enquêtes, ce serait trop long ; mais en résumé, il s'agit de reconstituer aussi précisément que possible la chronologie des faits, impliquant ce qui se passe dans la tête du conducteur impliqué.
Ce sur quoi je veux insister, c'est le refus des réponses faciles et la nécessité absolue de ne pas s'arrêter à la prmeière "culpabilité".

Premier exemple
Pour illustrer mon propos, je parlerai d'abord d'un cas hors accidentologie routière, qui aurait pu être réel, proche d'un cas rencontré dans ma vie professionnelle en aéronautique.

Un hélicoptèe décolle. Une pompe à carburant casse, le moteur s'arrête, l'hélico retombe lourdement au sol. Blessés graves, hélico foutu, le bilan humain et matériel est lourd.

En vue d'éviter que cela ne se reproduise, l'enquêteur va aligner les «pourquoi ?»

Pourquoi la pompe s'est-elle bloquée ?
- l'enquête montre que le palier en téflon a chauffé, a gonflé, et a serré l'arbre d'entrainement. Phénomène divergent : plus il serre plus ça chauffe, plus ça chauffe plus ça gonfle, plus ça gonfle plus ça serre. On arrive à la rupture de l'arbre.

Pourquoi ce palier a-t-il chauffé ?
- L'enquête montre que le palier n'avait aucun défaut, l'arbre non plus. Seule évolution récente : on a utilisé du carburant «hydrogéno-désulfuré», beaucoup moins bien lubrifiant que le carburant habituel. La mauvaise qualité de la lubrification par ce carburant est la cause du problème.

Pourquoi a-t-on utilisé du carburant hydrogénodésulfuré ?
- parce que les normes sont en train d'évoluer. Le soufre est retiré du carburéacteur afin de réduire la pollution atmosphérique.

Je pourrais enchaîner avec un autre pourquoi : pourquoi veut-on réduire la pollution atmosphérique ? Mais là, nous ne sortons de ma compétence d'enquêteur accident. J'appelle ça «sortir de la maison» : le problème ne me concerne plus, il s'impose à l'enquêteur car ce dernier ne peut pas agir dessus. C'est un fait incontournable, c'est donc à l'étape précédente que je dois travailler :
«La mauvaise qualité de la lubrification par ce carburant est la cause du problème» mais je n'ai pas le choix, nos moteurs doivent fonctionner avec ce carburant qui lubrifie mal les pompes. J'ai ma réponse, la pompe s'est bloquée car le carburant devient moins lubrifiant. C'est la cause primaire du problème, je peux passer à l'action

Action : il faut développer de nouveaux paliers compatibles avec un carburant «sec» qui a un très faible pouvoir de lubrification.

Deuxième exemple

Appliquons cette chaîne de pourquoi à un accident qui, lui aussi aurait pu être réel. Je l'ai vécu au volant de mon car, il s'en est fallu d'environ 5 cm...

Je circule avec mon car dans la ville de La Bâthie. La «zone 30» démarre dès l'entrée sud de la ville. Elle est parfois interrompue sur 200 m, mais avec des rond-point à passer, que je traverse entre 10 km/h (le premier) et 20 km/h (le deuxième). Autrement dit, en car, je ne dépasse jamais les 30 km/h pendant 1,5 km.

Je m'engage donc dans la ville. Une voiture me rejoint assez rapidement et me suit. Premier dos d'âne, je le passe «au pas» pour ne pas faire souffrir mes passagers (et mon dos) ; deuxième dos d'âne, idem. Première chicane, je ne suis pas prioritaire je m'arrête pour laisser passer un véhicule. Deuxième chicane, R.A.S. Premier rond point passé à 10 km/h environ ; deux zones de «coussins berlinois», je les passe sans avoir besoin de ralentir, donc entre 20 et 30 km/h. Deuxième rond-point, un peu plus large que le précédent. Je fais ma manœuvre en roulant à environ 15/20 km/h et le véhicule qui me suit passe dans mon angle mort. Soudain, dans mon rétroviseur je le vois qui passe à la gauche du rond-point. Je freine, mais le temps que le car s'arrête, l'avant coupe déjà la route au véhicule qui vient de passer le rond-point à contre-sens. Il heurte mon car et, déstabilisé, monte sur le trottoir où il fauche deux gamins qui retournent à l'école. Deux gosses tués, le conducteur blessé. Deux véhicules bien abîmés.

Déroulons la chaîne des causes :

Pourquoi y at-t-il eu deux morts ?
- parce qu'ils ont été fauchés par la voiture

Pourquoi ont-ils été fauchés ?
- parce que le conducteur a perdu le contrôle de son véhicule

Pourquoi le conducteur a-t-il perdu le contrôle ?
- parce qu'il a effectué une manœuvre dangereuse et a heurté le car

Aujurd'hui, trop souvent, l'enquête s'arrête là. On a trouvé un coupable, il va payer. Mais demain, le même problème peut survenir, car nous n'avons pas encore trouvé la cause primaire. Cette cause primaire est toujours là, l'accident se reproduira.

Pourquoi ce conducteur, bon père de famille, certes pas un fou du volant, a-t-il effectué une manœuvre dangereuse ?
1) - parce qu'il était excédé de rouler à 30 km/h, parfois beaucoup moins, depuis trop longtemps
2) - parce qu'il a sous-estimé le risque, en doublant un véhicule qui lui semblait très lent (mon car)

Je vais examiner successivement ces réponses 1) et 2)

1) Pourquoi ce conducteur était-il excédé par une situation certe désagréable mais pas dramatique ?
- parce qu'il a des problèmes de couple, ce jour-là, il était particulièrement stressé et repartant au travail.

Là, je «sors de la maison» . Il y aura toujours des gens stressés, énervés, qui devront prendre le volant. Il faut donc voir ce qu'on peut faire à l'étape précédente : il était excédé de rouler lentement sur une route dont la configuration ne justifie pas cette immense «zone 30».

1) Action corrective il faut supprimer cette immense zone 30 et concentrer les efforts sur les points qui le méritent : traversées de route, état des trottoirs etc... Limiter à 30, oui, mais là où c'est utile et seulement là où c'est utile. La prochaine fois le car qui le précède roulera plus vite sans pour autant être dangereux, le conducteur de la voiture sera moins stressé et pourra plus facilement patienter sur 1,5 km.

2) pourquoi ce conducteur a-t-il sous-estimé le risque ?
- parce que le car roulait très lentement depuis le début. Le conducteur de la voiture s'est imaginé que le car allait fortement ralentir dans le rond-point. J'ai ralenti autant que nécessaire, mais beaucoup moins que ce qu'il attendait.

2) Pourquoi le car roulait lentement depuis le début ?
- parce que la vitesses est (inutilement) limitée à 30 km/h et qu'un professionnel de la conduite se doit de respecter les limitations de vitesses, aussi stupides soient-elles.
Là encore, je «sors de la maison» : beaucoup de professionnels respectent les vitesses limites parce-qu'ils sont des pros, parce-que ne pas les respecter est une faute professionnelle. On n'y changera rien.

2) Action corrective
Revenons donc à l'étape précédente : «parce que le car roulait très lentement depuis le début». Là est la cause primaire de l'accident. Pour supprimer cette cause primaire, il faut focaliser les limitations à 30 km/h sur les rares secteurs où cela est vraiment justifié : aux carrefours des trois rues débouchant de l'école et à la sortie de l'usine. Pour l'École, installer des passages piétons bien sécurisés suffisamment loin des intersections pour que les manœuvres des cars et poids lourds restent possibles ; pour l'usine, un plateau ralentisseur avec limites environ 5 m en amont et en aval de l'intersection devrait suffire.


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