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Débattons en paix
14 juin 2023

Lettre ouverte aux Maires de la CA Arlysère

Madame, Monsieur le Maire

Ancien ingénieur fonctionnellement impliqué dans la prévention des risques, enquêteur accident diplômé de l'IFSA, je suis aujourd'hui conducteur de car. Et je constate que nos élus n'ont pas toujours conscience de la réalité des dangers de la route, et qu'ils prennent bien souvent des décisions qui renforcent ces dangers. La politique de «sécurité routière» des municipalités se limite souvent à de la monoculture : faire ralentir. Nous allons voir que cela n'est pas toujours pertinent

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Fin avril 2023, un automobiliste distrait entre dans une rue et, agacé de la voir barrée pour travaux, recule à grande vitesse en faisant hurler son moteur, fait demi-tour devant une boulangerie sans prendre garde à la présence de piétons  et repart en faisant crisser les pneus. Les plots destinés à ralentir la circulation dans cette rue ne l'ont nullement géné dans son accélération de fangio frustré. Que ce soit ponctuel ou habituel, ce gars-là est dangereux. Aucun des dispositifs mis en place ne réduit sa dangerosité de ce monsieur, la plupart de ces dispositifs l'aggravent.

C'est pourquoi, comme professionnel de la route et ancien pro de la sécurité, je crois utile de vous faire part d'un avis très inhabituel mais fondé sur l'expérience et sur quelques bases solides.

1 LE FACTEUR HUMAIN

Avant de présenter des arguments techniques, je crois bon de rappeler ce que j'ai appris dans ma formation d'enquêteur accident et constaté sur le terrain : le facteur humain est le plus souvent à la base des accidents. À chaque fois qu'on passe à deux doigts d'un accident, on devrait se poser la question : pourquoi est-on passé si près du drame ? Quels comportements humains ont été mis en jeu ? Et ne pas se contenter de la réponse facile mais souvent impertinente : «le conducteur roulait trop vite».


Exemples de situations que nous ne traitons pas, ou bien que nous aggravons aujourd'hui en cherchant vainement à faire ralentir : Dans notre secteur, en avril 2023, ont été mises en places de nombreuses limitations à 30 km/h associées à des dispositifs destinés à ralentir la circulation. Exemples de résultats observés depuis mon car :
- un conducteur, excédé de rouler à 30 km/h depuis trop longtemps, a dépassé mon car en prenant un rond point à contre-sens. Il s'en est fallu de quelques centimètres pour que cette manœuvre stupide n'entraîne un accident dramatique ;
- un papy tout calme, bien que non prioritaire dans une chicane, mais voyant arriver un car, a accéléré, -comme le font de très nombreux usagers- il a alors roulé plus vite que sa vitesse de croisière habituelle. Sur quoi était alors concentrée son attention ? Sur les enfants qui circulaient à vélo à 50 cm à gauche de son véhicule ? Non, il ne regardait que mon car qu'il ne voulait pas déranger.
- un cycliste circulant derrière un camion, surpris par les coussins berlinois, fait un écart à gauche et se trouve face à mon car (deux occurences déjà !). Heureusement, j'étais à chaque fois assez loin pour que cela n'ait aucune conséquence. Si j'étais parti deux secondes plus tôt de l'arrêt précédent, le drame aurait été inévitable.

Leçons à tirer de ces exemples
Quel que soit le dispositif utilisé, il faut prendre en compte des réalités incontournables. Par exemple :
- des gens agacés, pressés, pas forcément des chauffards, parfois pleins de bienveillance, vont chercher à rouler «plus vite», quoi que vous fassiez. Si vous voulez renforcer la sécurité, il faut les prendre en compte car ce sont surtout ces gens-là qui risquent de créer des accidents. Chercher à les faire ralentir est le plus souvent inefficace, parfois contreproductif, comme on vient de le voir.
- la première cause des accidents, c'est la surprise, ne l'oublions pas ! Il faut donc éviter ce qui est illogique, ce à quoi personne ne s'attend. La signalisation doit être claire et en bon état. «Y'a du boulot».



2 LES DISPOSITIFS RALENTISSEURS

Les ralentisseurs (dos d'ânes, ou trapézoidaux)
Ces ralentisseurs sont un bon outil. Mais une accumulation de ralentisseurs sans aucune pertinence, ne sert à rien. Excédés, de nombreux conducteurs roulent, entre les ralentisseurs, plus vite qu'ils n'auraient roulés sans ces ralentisseurs. Par ailleurs, il y a des règles à respecter, beaucoup des ralentisseurs du secteur ne sont pas réglementaires et sont dangereux du fait de leur non conformité à la réglementation (voir le décret 94-447 et son annexe, et la norme NF P 98-300). On oublie trop souvent que les ralentisseurs représentent aussi un risque supplémentaire, qu'ils ont déjà tué et tueront encore. On a supprimé la peine de mort pour les assassins, il est déplorable de la maintenir pour les jeunes fous du volant ou du guidon. 

 

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En prime pour les visiteurs de mon site : illustration de ce qui suit. Un ralentisseur trapézoïdal "justifié" par un passage piéton entre un caniveau déguisé en cheminement piéton (impraticable) et un talus couvert d'herbes hautes.



Certains élus détournent la loi (exemple : passage piéton totalement inutile, pour justifier un ralentisseur trapézoïdal) ; La plupart des élus ne la respectent pas : les ralentisseurs dans des pentes à plus de 4%, c'est illégal ; les ralentisseurs à moins de 40 m d'un virage de rayon inférieur à 200 m, c'est illégal ; les ralentisseurs à moins de 25 m d'un pont, c'est illégal. Tout cela est abondamment présent dans les communes d'Arlysère.
Enfin, l'énervement généré chez de nombreux conducteurs par un usage excessif de ces dispositif est lui-même accidentogène. Il ne faut pas l'oublier.

 

ralentisseurs-620x295crédit photo : https://www.lesenjoliveuses.fr/wp-content/uploads/2017/04/ralentisseurs-620x295.jpg

En prime pour les visiteurs de mon site : cliquer ci-dessous ici



Les chicanes et écluses
Les chicanes, les écluses destinées à faire ralentir sont totalement inefficaces : car il faut aussi laisser passer les cars et les poids-lourds. Des chicanes qui laissent difficilement passer les cars n'obligent nullement un conducteur normal à ralentir, je l'ai constaté de visu : le jour même de la mise en place d'une écluse avec des bornes jaunes dans une ville du secteur, j'ai vu une automobile passer à grande vitesse, pour ne pas gêner un véhicule venant en face ! Pourtant, pour passer avec mon car, je devais frôler les bornes à moins de cinq centimètres. En revanche, on le sait, il y aura toujours des gens un peu plus inconscients que la moyenne qui se fixeront des défis : «lequel d'entre nous passe la plus vite dans cette chicane ?» Vous savez que c'est vrai, tenez-en compte !
Le 31 mars dernier, engagé à l'entrée d'une chicane, j'ai dû freiner fort à cause d'un véhicule qui a accéléré pour forcer le passage. Je suis en car scolaire. Cette situation accidentogène a été créée par la bêtise d'un conducteur, mais elle n'aurait pas existé sans ces chicanes. Je transporte des enfants et n'accepte pas que, sous prétexte de sécurité, nous rendions la route encore plus dangereuse avec des chicanes inutiles.



Les priorités surprenantes

Dans une ville du secteur, il est prévu de rendre un chemin très peu fréquenté prioritaire sur l'ancienne route nationale. Pour résoudre un problème qui n'existe pas (combien d'accidents en ce carrefour ?) on va surprendre les automobilistes. Bien sûr il y aura des panneaux -du moins je l'espère- mais soyez certains de ce qui va arriver, comme je l'ai vu à Parempuyre :
- des gens un peu distraits ne verront pas cette priorité atypique ; les fangios ratés, après avoir marqué l'arrêt un vingtaine de fois pour rien, ne respecteront plus cette priorité ;
- d'autres fangios ratés débouchant du chemin prioritaire, surs de leur bon droit, s'engageront sans vérifier s'ils peuvent le faire en toute sécurité.
Un jour, les deux vont se rencontrer. En ramassant les cadavres, pensez à celui qui vous avait annoncé cet accident ! Vous direz alors «ils roulaient trop vite». Ce sera vrai mais le Maire  sera tout autant responsable de leur accident car il est largement prévisible.

Les obstacles à demeure sur les voies
Il y a sur notre secteur des poteaux placés sur des trottoirs étroits. Résultat constaté : des jeunes cyclistes circulent sur les trottoirs, descendent imprudemment du trottoir pour éviter l'obstacle en roulant sur la route. Leur manœuvre est dangereuse. Ils ont dix, douze ans. Plutôt que de leur reprocher leur imprudence, ne pourrait-on pas s'interdire ce genre de situation, supprimer ces poteaux au milieu des trottoirs ?
Il y a sur notre secteur des poteaux directement sur la chaussée, sur la voie de circulation, sans qu'aucun panneau n'alerte les conducteurs sur cette bizzarerie. En car, cela me met en difficulté plusieurs fois par semaine. Un jour, il y aura un drame. Ne peut-on pas remédier à cette dangereuse anomalie ?

 

IMG_1294Ici, un car ne peut pas croiser une automobile. Mais l'automobiliste ne le sait pas.



2 DES PROPOSITIONS CONCRÈTES

Oublions le préjugé «réduction de vitesse = sécurité».
Un véhicule qui roule «trop vite» sur une rue un peu large entre deux trottoirs larges est moins dangereux qu'un conducteur énervé par une chicane, qui accélère pour forcer le passage. Et vu de mon car, les premiers sont beaucoup moins nombreux que les seconds.

La vitesse seule ne tue pas : y a-t-il plus de mort par km parcouru en ville ou sur autoroute ?  En revanche, quelles sont les conséquences de l'énervement, de la dégradation de la santé et des véhicules (ralentisseurs), de la pollution rajoutée (quasi-arrêt/redémarrage sur les ralentisseurs) ? Vous avez tous vu ces dingues excédés qui font hurler leurs moteurs à la sortie des ralentisseurs. Croyez vous que, passée la zone, ils seront plus dangereux ou moins dangereux que s'il n'y avait pas eu de ralentisseurs ? Ces gens-là existent, vous n'arriverez jamais à les faire ralentir, mais il y a heureusement d'autres moyens de les prendre en compte. Déjà de ne pas les énerver inutilement ! Mais surtout sécuriser nos routes en tenant compte de l'inévitable : des gens rouleront trop vite.

Vous voulez sécuriser nos routes ? Moi aussi. Quelques suggestions :

- déplacez vous à pieds et en vélo sur votre commune : vous découvrirez des dangers dont vous n'avez pas conscience. Accompagnez les cars scolaires. Vous verrez de l'intérieur des choses qui vous échappent aujourd'hui. En vélo, vous verrez que les coussins berlinois sont souvent dangereux et que les gravillons non balayés représentent un risque majeur. A pieds vous regretterez le délabrement trop fréquent des bords de route qui vous obligera à marcher sur la chaussée étroite.

- Évitez d'énerver nos concitoyens : supprimez tous les ralentisseurs et chicanes dangereux, inutiles ou illégaux (à vue de nez, 90 %), remodelez les ralentisseurs restants pour les rendre conformes à la réglementation.

- sur les routes larges et fréquentées, mais aussi sur chaque route régulièrement fréquentée par des enfants ou des personnes âgées, mettez des passages piétons avec ilôt central bien signalé (et là, oui, une limitation ponctuelle à 30 km/h). Le fragile piéton qui traverse la rue n'a besoin de ne regarder qu'un côté à la fois, il a un refuge abrité des voitures au milieu de la route. Un tel dispositif, outre son intérêt direct (le refuge) a l'avantage de mettre en évidence le passage piéton qui aurait pu échapper à un conducteur prudent mais distrait.

- Installez ou maintenez les ralentisseurs là où ils sont vraiment utiles : aux abords d'une intersection délicate ou de sorties de parking, le ralentissement de la plupart des véhicules circulant sur la voie prioritaire permet aux non-prioritaires de s'engager plus surement, et c'est une bonne chose. Exemples : les ralentisseurs situés à Albertville rue Pasteur, près de la voie ferrée, ou à Gilly, route de Chambéry, au croisement de la route de Tamié, sont pertinents.

- assurez la visibilité. Exemple, sur un croisement de trois routes de fréquentation équivalente, mieux vaut mettre le stop là où la visibilité est bonne, et non là où elle est nulle, pensez à la visibilité des gens qui tournent à gauche ; ne laissez pas les haies, publiques ou privées, masquer la visibilité des gens arrêtés aux stops ; réfléchissez à la position du «Stop». L'avancer d'un mètre est souvent facteur de sécurité : les prioritaires ralentissent naturellement dans la voie ainsi réduite, les non-prioritaires ont une meilleure visibilité.

- séparez les flux. Exemple : Dans un des nos villages, il y a un itinéraire fréquenté par des écoliers, à l'intérieur d'un virage sans visibilité (maison au ras de la route), sans trottoir. Un cheminement piéton matérialisé par un marquage au sol et des bornes en plastique permettrait au piéton de descendre dans de meilleures conditions de sécurité une zone actuellement dangereuse. Les automobilistes seraient intuitivement poussés à la prudence, plus que par n'importe quel panneau «sauvez nos enfants» ou par des dos d'âne (qui seraient d'ailleurs illégaux ici).

Autre exemple de séparation des flux : Dans l'une de nos villes, les piétons se déplaçaient en toute sécurité sur un large espace qui leur était dédié, largement séparé de la circulation des véhicules par les espaces de stationnement. C'était idéal. Aujourd'hui, on a placé un itinéraire piéton sur la voie, contigu avec la circulation des automobiles, ces dernières circulant désormais près des piétons et sur une voie de largeur réduite (pour les faire ralentir, évidemment !). De plus, les véhicules traversent le nouvel itinéraire piéton pour se garer ou sortir de stationnement. Donc on a augmenté la probabilité d'accident pour les piétons. Où est la sécurité routière dans ce choix ?

Séparer les flux, cela signifie en particulier que, là où les piétons circulent de manière habituelle, une zone large leur soit réservée, zone qui ne soit ni un champs de boue ni un pierrier casse-cheville. Les trottoirs en dur coûtent cher, mais aplanir le sol et le tasser ne représente pas une dépense insurmontable. Séparer les flux, cela peut passer aussi par la réhabilitation des anciens sentiers communaux, trop souvent tombés dans l'oubli ; vous avez dit mobilité douce ? Assumez !
Séparer les flux cela signifie enfin avoir de vraies pistes cyclables, et non de la peinture sur une route de largeur insuffisante et inchangée, comme cela se pratique de plus en plus.

- sur les routes étroites, créez des zones de croisement : sur une ligne scolaire, sur route étroite et sinueuse, j'ai dû reculer sur plus de 200 m avec un car, évidemment sans visibilité (angles morts...) pour croiser un car montant. Sur nos routes de montagne, de nombreux automobilistes paniquent quand ils croisent un car. J'en ai vu se mettre dans le fossé et ne plus pouvoir en sortir, j'en ai vu un éclater un pneu sur un rocher en bord de route. Entre chacun de ces événements bénins mais accidentogènes et un accident grave, il n'y a qu'un écart mineur : quelques secondes, quelques centimètres... Il suffirait de quelques zones de croisement bien placées pour réduire le risque.

- faites respecter l'espace réservé à la voie publique : je fréquente quotidiennement une ligne scolaire où de trop nombreuses haies et branches basses dépassent sur la voie, en réduisent la largeur, obligeant les poids-lourds et cars à rouler au milieu de la route ou même à gauche, compliquent le croisement entre les véhicules... Sur cette ligne, un deux-roues m'a raté de peu, au cause d'une haie qui m'obligeait à rouler bien à gauche dans la montée, à l'entrée d'un virage sans visibilité. Moi-même élu local, je sais qu'il est plus facile de céder à la pression des râleurs qui demandent des ralentisseurs que de demander aux riverains de couper des végétaux qui rendent difficile, voire dangereuse, la circulation des cars scolaires. Mais la sécurité routière ne supporte pas la démagogie.

IMG_4125 Pallud La Biollecroyez vous qu'un car passe sans problème en cet endroit ?


Il y a sur notre secteur d'Arlysère une plaque de béton horizontale (balcon abondonné) qui interfère avec la voie publique à la hauteur du pare-brise des cars. Un jour, un car scolaire ou un poids lourd heutera cette plaque. C'est inévitable. C'est extrèmement dangereux, attendrons nous qu'il y ait un mort pour faire respecter la loi ? Combien de bords de toitures et de terrasses empiètent sur la voie publique ? Que faisons nous pour réduire le risque  généré ?

- faites balayer vos routes rapidement après les reprises de goudronnage. Que des grandes zones de gravier subsistent plus d'un mois après les travaux, comme nous le voyons trop souvent, c'est inacceptable ! Les deux-roues et les piétons aussi ont droit à des routes sures. Le cinq mai 2023, devant une école, un petit garçon de trois ans qui allait monter dans mon car a glissé sur le gravier vieux d'une vingtaine de jours, accumulé sur le bord de la route. Ce garçon est tombé, sa nuque au niveau de l'angle du trottoir. Il est passé à cinq centimètres de la mort parce qu'on ne veut pas balayer les gravillons. C'est ce dernier évènement qui m'a décidé à écrire  cette lettre ouverte.

IMG_40985 cm plus en arrière, ou serait Maël  aujourd'hui ?

 


Je sais bien que ce courrier n'aura aucun autre effet que me donner une image imméritée de raleur. Mais si je ne l'envoie pas, j'aurai honte de ma lâcheté. Je vous prie donc humblement de bien vouloir oublier vos préjugés en matière de sécurité routière, et de le relire avec un regard neuf !

Cordialement,
Michel PLANTIER

IMG_4136 La Bathie

Pour conclure: la Sécurité routière vue par une Mairie de chez nous :

comment signaler une bouche d'égout ouverte sur une route à grande circulation ? ...

 

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